Cassandre
Présenté dans une mise en scène électrisante et hypnotique de Marc-Ange Sanz, «Un pur moment de Rock’n’roll», décoche à la face du public un direct du droit le consumant à petit feu sur son fauteuil. Attention, choc frontal sans air-bag !
C’est fou ce que l’ennui fait des progrès dans le Landernau théâtral. on ne ratiocinera pas à longueur de lignes sur la vieille litanie du théâtre en situation d’asphyxie clinique sans oublier la redoutable antienne «il n’y a plus d’auteurs, voyez-vous ma p’tite dame...»
Seule certitude de nouvelles pièces déboulent sur nos scènes partout et à tout moment.
Mais au-delà des autocélébrations, des pommades laudatives délivrées dans des aréopages distingués, combien d’entre elles sont-elles à même d’estourbir les foules ? Spectacles fumeux, abscons, fades comme des bouillons Kub, peaufinés comme des pièces d’artisans mais aussi émouvants qu’une BMW sortie de l’usine, textes incolores, mises en scènes molles du genou, honorables mais sans surprises, s’essoufflant comme vaincues par une toux emphysémateuse, rires arrachés au forceps, niaiseries lacrymales...
Au milieu de ce salmigondis, difficile de s’y retrouver. Alors quoi, pas le moindre petit morceau de graine ou de vermisseau théâtral à se mettre sous la dent ? Fichtre non.
Et c’est là que le Théâtre, miracle des miracles, redevient magique, bingo, une grâce tombée du ciel capable de distiller un plaisir incomparable au cours de soirées qui vous réconcilient avec toutes les autres. De belles preuves de vitalité qui gratifient le spectateur, déliant son intelligence, débridant son imaginaire, et sa capacité émotionnelle, de celles qui restent longtemps dans les mémoires. «Un pur moment de rock’n’roll boxe dans cette catégorie-là. (...)
Assis à de petites tables de bistrots, comme au café, on sent confusément que le spectacle ne sera pas fournisseur de bons sentiments candies. Rien de plus, rien de moins. C’est alors que l’émotion nous tombe dessus, sans préavis. Un type rasé, affublé d’un collier de chien et d’une ceinture de motard sur un corps presque nu se met à cogner contre des tôles et à psalmodier le texte de Ravalec : des phrases bien balancées sans coquetterie, cinglantes comme des gifles ayant la précision et la densité d’un haïku, la beauté simple de l’évidence.
Destins abîmés, zones entières de hors-la-loi mis au ban de la société, tranches de vies brûlantes en direct des cités entre dépôt, perquisitions, taule, sida, dope ... se reflète comme à travers un miroir l’image d’un monde à la dérive. (...)
Expulsé comme on crève un furoncle «avec ce rire cruel plein la bouche», Un pur moment de rock’n’roll, état ultime et dangereux s’avère être créateur d’une esthétique flamboyante, un maelström visuel de scènes violentes, maléfiques, se muant parfois en éclat de rire. (...)
Balançant aux orties académisme ronflant et leçons de théâtre, de jeunes comédiens parfaits se font échos, le regard pris, électrisés, de la violence et des tensions d’un monde dont le tragique excède la fiction.
Le dispositif scénique ajouté à un très beau travail sur le son et une mise en scène percutante de Marc-ange Sanz (qui pourrait bien être une des valeurs sûres de demain) magnifient avec une violence toute animale ces cloaques de solitude, de misère psychique, décuplant le plaisir du texte. Pas de morale sentencieuse ni de voyeurisme. Juste le rance de la peur, un texte violent comme l’orage, où l’on sent battre un ventricule à chaque scène et couler la sève prête à nourrir les combats de demain, des mots comme des bombes à retardement, une mise en scène coup de poing, quatre comédiens à haute température à fleur de désespoir restituant tout le suc et l’humanité de ces gens réels, boucs émissaires d’une société en crise. Quelques grammes de vérité dans un monde de paillettes et de poses guindées. Une tempête de vie qui vous galvanise de bout en bout et vous laisse ébloui de ce dont est encore capable le théâtre. Ce spectacle pose pavillon à l’Etoile du Nord : frémissez !
Myriem Hajoui