Le Figaro
Une cérémonie des aveux.
Torgnole. De l’ancien français : tourniole, «mouvement circulaire», XXVII ° Siècle, de torner, tournoyer. Coup, gifle (qui fait tourner). Exemple ‘Nana recevait sa raclée. Quand le père était las de battre, la mère lui envoyait des torgnoles» (Zola). nous y sommes : c’est du Zola, Bourdon. La misère noire, la banlieue. cela empêche pas certaines nuances : la fille reçoit des baffes, le garçon, des torgnoles. c’est plus doux, plus féminin, la baffe? La, ça vous améliore la tronche, ça laisse des traces :oeil au beurre noir, dent ou poignet cassé, etc. «J’aime pas les torgnoles» dit le fils , comme on dirait : «j’aime pas les carottes.»
Tout y est ? Le père, maçon et «cavaleur», comme gémit la mère, qui partira avec une malheureuse échappée d’un asile et qui finira par se jeter dans le vide, la mère, qui trime et qui se prostituera pour survivre, les enfants, livrés à eux-mêmes, et qui voyagent en songe. l’auteur ne nous laisse aucun choix : soit on s’égare, on s’engouffre avec lui, soit on refuse tout en bloc. Effaré par la noirceur et l’excès d’un monde irrespirable.
Sauf que cette fois, Bourdon nous parle de ce qui lui importe. Quelque chose de son enfance qui l’obsède. Le dire, ça fait mal, ça fait peur, et ça apaise en même temps, comme un aveu longtemps différé. Il y a dans ces Scènes de la misère ordinaire, aux plus bas étages de l’abandon et du malheur, une nuance d’espoir. Encore tout abruti et inconsolé Bourdon ouvre une fenêtre : «Le vrai amour, c’est quand la terre fait tourner sa langue avec le soleil...» Est-ce la tête ou la Terre qui tourne quand on s’embrasse ?
La mise en scène, très sobre, de Marc-Ange Sanz, restitue au texte de Bourdon sa véhémence, sa douleur, sa force tremblée de confession. Les comédiens sont parfaitement accordés à l’ironie sombre et sincère, tout en tentacules et en épines, de Bourdon.
Frédéric Ferney